Tu avais le cœur lourd, Batilda. C'était comme un poids qui s'était installé au fond de ta poitrine sans que tu n'aies rien demandé. Alors tu tentais de manger pour oublier, mais plus tu mangeais et plus tu te sentais lourde. Cercle infernal. Ça ne t'empêchait pas d'engouffrer des paquets entiers de biscuits depuis le matin cela dit. Et puis c'était tellement énervant cette sorte de culpabilité qui coulait dans chacune de tes veines que tu avais vaguement tenté de la fuir en exigeant de ce jeune homme – son nom c'était quoi déjà ? Navel ? – qu'il t'emmène faire un tour sur une bulle disproportionnée. Mais ça ne marchait pas. Elle restait cachée là, tu la sentais. Sale fourbe. Tu pris un autre biscuit en fixant avec dédain les Montagnes des Pauvres s'étalant sous tes pieds, attendant le bon moment pour virer ce foutu sentiment hors de ta royale personne.

- Le voyage vous plait, Majesté ? Ou vous souhaitez aller un peu plus loin ?

Ah tiens, alors comme ça, le gamin misogyne tenait à te faire la conversation ? Il fallait avouer qu'il était tenace. C'était peut-être la deuxième ou la troisième fois qu'il revenait à la charge et que tu l'ignorais consciencieusement. Une Reine de ton rang n'allait quand même pas s'abaisser à parler avec la populace ! Surtout pas en ce jour de pseudo-désespoir-panique-incompréhension interne. Enfin. Il allait bien falloir que tu répondes cette fois, puisqu'il te demandait ton avis sur le trajet que tu ne lui avais absolument pas indiqué, lui laissant l'entière responsabilité de tout ce qui pourrait se passer de dangereux en cours de route – une exécution au fond, ça pourrait toujours te changer les idées.

- Oui oui, c'est charmant. Adorable. Si l'on oublie que l'on se promène sur le territoire qui a abrité un temps le stupide roux malacophobique qui a tenté de faire exploser mon château et moi avec il y a à peine quelques mois, c'est formidable, vraiment.

Tu avales un autre biscuit sans cligner, balançant tes chaussures dans le vide. Et puis tu lèves tes yeux dénués d'intérêt vers Navel et tu lui lances ce sourire que tu réserves pour les grands jours d'hypocrisie.

- Vous n'auriez pas quelque chose d'intéressant à me raconter, plutôt que de me poser des questions aussi stupides ?

Il y avait une telle délicatesse dans tes propos, Batilda, qu'on aurait sûrement pu en faire un livre.