Incroyable mais vrai, tu te sentais intriguée, Batilda.
Cela faisait bien des années que cette impression de hm – curiosité ? - ne t'avais pas atteinte. Pour une fois, tu te posais des questions, tu t'interrogeais. Tu doutais.
Tout avait commencé le matin même. Bonnie était particulièrement tête en l'air et ses cernes descendaient bien bas ; mais tu t'étais simplement dis qu'elle avait dû mal dormir. Et puis au fond, cela ne te préoccupait pas vraiment. Qu'en avais-tu à faire, toi ? Tu avais des choses nettement plus importante à faire que de te soucier du sommeil de tes employés. Alors tu l'avais laissée aller. Tu avais signé des papiers ennuyeux à mourir, répondu à des lettres toutes plus futiles les unes que les autres, était allée à cette assemblée où l'on réclamait ta présence. Une journée ordinaire, en somme. Et puis elle était venue te parler. Avec ses cheveux blonds et ses petits yeux endormis. Bonnie. Elle t'avait annoncé qu'elle avait fait une découverte extraordinaire la veille, en compagnie d'une jeune demoiselle nommée... Comment s'appelait-elle, déjà ? Echo, c'est ça. Dans les catacombes. C'est là, Batilda, à cet instant précis, que tu avais commencé à douter. Des histoires qu'on t'avait raconté, des secrets qu'on t'avait expliqué avec sérieux quelques années auparavant. Et te voilà à accepter de rencontrer cette fillette. Echo. Elle s'appelle Echo.
Quelle perte de temps.
Tu les entendais avancer toutes deux dans les couloirs menant à tes appartements, et tu regrettais déjà ton choix. Qu'aurais-tu à craindre de deux gamines, au fond ? Elles ne savaient rien. Elles n'avaient sans doute rien compris de ce qu'elles avaient vu ou entendu. Il te suffisait de nier. De faire comme si tu n'étais pas au courant. C'était tellement facile ! Tu t'entraînais chaque jour. Alors pourquoi. Pourquoi doutais-tu ainsi ?
Quelqu'un toqua légèrement, puis la porte s'ouvrit dans un grincement à peine perceptible et tu levas les yeux face aux deux blondinettes à l'entrée. Ton plus faux sourire se dessina sur tes lèvres. Celui qui te faisait paraître agréable et adorable. D'un geste de la main, tu les invitas à s'installer dans les fauteuils confortables mis à disposition. Enfin, d'une voix légère, tu débutas ce... Oh.
Délicieux entretien.

« Alors, mes très chères. Qu'avez-vous donc à me raconter de si important, aujourd'hui ? »

Tu étais Batilda Trafalgar. Tu avais tenu tête à des dizaines de ministres outrés.
Ce ne serait pas ces deux jeunes filles qui te feraient trébucher.

Elles te regardaient à peine, avec leurs airs gênés et leurs visages rouges. Bonnie avait l'air de mieux s'en sortir que sa comparse, mais tu restais tout de même sceptique. Tu ne faisais tout de même pas si peur que cela, si ? La plus jeune, avec sa robe rose à pois et ses cheveux courts, paraissait littéralement paralysée.
Dire que tu t'évertuais à sourire pour ces deux gosses sans importance.
C'était ridicule, tout simplement ridicule. Tu ne savais pas ce que tu faisais là, tu ne savais pas quelle était ta place, tu ne savais pas pourquoi c'était à toi d'assister à ça avec ta couronne sur la tête et ta robe trop apprêtée. Tu détestais cette robe, celle qu'on t'avait choisi le matin. Elle n'était même pas rose.
Aucune couleur à laquelle te raccrocher.
Juste ces mots que la gamine finit par lâcher, après avoir hurlé sa détresse à son amie dans un regard désespéré. Ô Batilda. Tu apportais le désespoir, toi.

« J’ai… Je… Vu quelques chose hier soir… Tard… Ici… J’ai eu une vision, une prémonition ou je voyais deux hommes, dans la nuit, déplacé des corps dans les souterrains. Je ne sais pas ce que ça veut dire, tout est flou j’en sais pas plus. Mais ça s’est passé il y à très longtemps il me semble… »

Tu l'observais, tu la fixais, de tes yeux étranges ; tes deux orbes froides et sans amour.
Il n'y avait bien que ton sourire pour sauver les apparences, ce jour-là.

« Ce qu'à découvert Echo hier soir, semblait important, et elle semblait bouleversée. Je ne sais pas dans quoi nous avons mis les pieds ma Reine. Mais non avons préféré vous prévenir de sa découverte avant de faire quoique ce soit. »

Voilà Bonnie qui parlait, de sa voix calme et posée. Elle n'était pas ta demoiselle de compagnie pour rien. Si elle se laissait vite intimidée au départ, elle était capable de reprendre le contrôle tout aussi rapidement. Elle maintenait sa vie dans le droit chemin. Un peu comme toi.
Si seulement tu savais où était le droit chemin.

« Soit. Vous êtes allées dans les souterrains hier, et vous – Echo c'est cela ? – avez eu une vision. Vous avez vu deux hommes déplacer des cadavres. Cela vous a bouleversé et vous avez décidé de m'en parler. »

Tu parlais de cette voix qui t'emmenait si loin, cette voix détachée et plate ne te ressemblant absolument pas. Cette voix de Reine trop occupée à gouverner pour pouvoir exprimer quoi que ce soit. Pas de goût, pas d'odeur, pas de saveur. Pas de robe rose.

« Mais savez-vous seulement qui sont ces hommes et avez-vous une idée de l'identité de ces morts qu'ils transportaient ? Que voulez-vous que je fasse, au juste, sans des noms ou de plus amples détails ? Vous êtes peut-être devin, mademoiselle Echo, et je comprends que tu aies pu te préoccuper du cas de ton amie ma chère Bonnie. Mais je dois admettre que je ne comprends pas exactement la raison de votre venue, et ce que vous attendez de moi, désormais. Je vous avouerais que cette situation me laisse, pour le moins, perplexe. »

Pas de couleur.

« Non… Non je ne sais pas… Je voulais simplement aider Reine Batilda. »

Tu te sentais comme la méchante sorcière menaçant la blanche colombe. Ce petit oiseau blond face à toi, tentant de cacher sa déception alors que tu lui expliquais – en quelque sorte – que tu n'en avais rien à faire de ses histoires. Elle t'importunait. Elle s'était baladée quelques instants dans les catacombes avec Bonnie, ta chère Bonnie, et elle pensait maintenant avoir le droit de tout connaître des secrets des Trafalgar ? Mais cette vision ce n'était qu'un centième, voire un millième de tes secrets. Une infime part de ce qui te bouffait jour après jour.

« Je vais essayer d’en savoir plus… »

Et Bonnie qui prenait la main de son amie tendrement. Un simple geste te rendant malade. Toi il n'y avait personne pour te prendre la main tendrement, personne pour te guider dans le noir. Tu devais trouver ton chemin toute seule comme une grande ; une grande fille de dix-neuf ans. Parce que tu étais la Reine de la Cité Yubaba.
La Cité des menteurs, oui.

« Ne t'inquiète pas Echo on y retournera ensemble si tu veux. »

Tes lèvres se pincèrent en une ligne mince et tu dévisageas les deux gosses attentivement. Elles voulaient y retourner ? Il ne fallait pas. Ces sous-sols avaient été cachés aux yeux de tous durant des générations, ce n'était pas pour rien. Il y avait de nombreuses choses à dissimuler là-bas. Des choses que tu ne voulais pas révéler. Des choses qu'on t'avait dis de garder pour toi jusqu'à la fin de ta vie même sous la torture ; pour l'honneur de ta famille.
Mais quel honneur avait encore les Trafalgar ?
Tu n'en savais rien. Tu étais fatiguée, Batilda. Tu en avais assez de toujours devoir tout régler. Ces gamines n'avaient pas à fouiller dans tes affaires, un point c'est tout.

« Les sous-sols ne sont pas un endroit très sûr, ni un lieu fait pour des demoiselles distinguées. Il n'y a, de toute manière, rien à voir là-bas. Je vous déconseille donc fortement d'y remettre les pieds. »

Et quand tu déconseillais fortement quelque chose, c'était comme de leur dire qu'en y retournant elles couraient à la potence. Au moins, tu disais cela avec le sourire. Tu n'étais qu'un monstre, Batilda.

« Sur ce, je vous prierai de bien vouloir vous retirer. Mademoiselle Echo, Bonnie. Passez une excellente journée. »

Un monstre qui ne voulait pas voir ses secrets en face, pour ne pas avoir à les affronter.