C'était sombre et angoissant. Mais rien n'y faisait, la mémoire ne lui revenait pas. Walt n'était sûr que d'une chose : c'était pas un doux et gentil rêve. Mais pas moyen de se souvenir de ce qu'il en était précisément. Il ne saurait pas le raconter, il n'avait juste en mémoire que le sentiment qui l'avait pris pendant son sommeil.
Ce matin, il n'avait pas l'envie de sortir de sa couette. Cette nuit agitée l'avait fatigué. Pendant de longues heures bien plus matinales qu'il ne le croyait, Walt s'était tourné, retourné dans tous les sens sur le vieux matelas. Même avec ses cheveux courts, il les sentait emmêlés tellement il avait gigoté. En plus, après une vérification rapide, il avait constaté qu'il commençait à faire vraiment froid, et humide. Ça ne lui donnait pas l'envie de sortir de son petit cocon bien chaud. Lui qui avait toujours froid aux pieds, il avait envie de profiter de ce moment où ce n'était pas le cas.
La lumière était grise et morne aujourd'hui. Il n'y avait aucun rayon de soleil pour illuminer la pièce. Dans un coin de poussière, Awakoum avait fini par se matérialisé derrière son Masque, mimant celui qui baillait après une longue nuit de sommeil. En le regardant du coin de l’œil, Walt pensait très fort qu'il était stupide de faire ça et que c'était juste moqueur, parce qu'il savait très bien que le Démon n'avait pas la même notion du temps, ou même du sommeil, il le lui avait déjà raconté. En le regardant, Walt se disait que peut-être un joli masque un peu rond, pourrait faire venir un Démon plus simplet et gentil. Il serait dans les tons verts pâles, sans agressivité aucune. Ça serait bien ça. Mais rien ne garantissait que l'apparence du masque ait une influence sur l'être qui allait venir l'occuper si Walt utilisait son Don. Et ce serait bien pire de se retrouver avec une créature désagréable qui aurait l'air d'un truc gentil.

Walt n'avait pas vraiment de lien affectif avec le Démon. Il se rendait compte qu'il était là, et c'était tout. Awakoum lui-même ne faisait pas grand cas de son existence, il le suivait, sûrement pour la simple et bonne raison qu'il était certain au moins que le masque ne serait pas abîmé auprès de Walt. Et qu'en quelques sortes, il c'était installé une sorte de lien entre créateur et création, bien qu'après tout, Walt n'était responsable que du Masque.

C'était un vieux Masque. Il l'avait sculpté quand il était encore à Londres. Il avait pour but premier, d'exprimer un Vilain, une créature mesquine aux teintes rouges vives et aux traits pointus.
Visiblement, l'expression était plutôt réussie. Awakoum était plutôt du genre, piquant, égoïste, et colérique. En fait, Walt ne le supportait que parce qu'il en était responsable, étant donné que c'était sa création. Il s'était déjà demandé ce qu'il se passerait si, il détruisait le Masque.
Il n'avait presque pas osé y penser. Mais quand Walt y avait pensé, il s'était dit que si on se débarrassait des enfants dès que l'un d'entre eux devenait un peu pénible, y'aurait pas grand monde de vivant.

Awakoum ne venait même pas lui sautiller dessus, il avait du comprendre les ondes hostiles à son égard d'une quelconque manière, et s'était volatilisé par la fenêtre. Il reviendrait plus tard, pour rentrer chez lui, et laisser le Masque dans un lieu sûr.  Ou alors il irait s'accrocher dans une maison, quelque part, il l'avait déjà fait.

Après avoir laissé quelques minutes passer, Walt avait fini par se décidé. Débarbouillage rapide avec une eau claire trop froide à son goût, et les grosses chaussettes furent vite enfilées, avec un gros pull au dessus d'une multitude de couches de vêtements dépareillés. Walt était plutôt frileux, et il se demandait si il n'existait pas un moyen de piquer les bas en laine d'une des dames du rez-de-chaussée. Il essayerait de ne pas oublier cette idée là.

Puis, c'était l'heure du déjeuner. Il s'était levé trop tard, Salisha lui jettera sa vieille vaisselle au visage plutôt que de lui servir quelque chose, petit voyou. Walt ne lui en voulait pas, c'était une femme qui avait des idées bien fixées sur le temps de repas, voilà tout.

Du coup, il s'était mis tête d'aller vadrouiller dans les rues marchandes, laisser trainer un oeil curieux entre les commerces.

Il y avait du monde, malgré le froid.

Walt était pas quelqu'un de très sérieux. Il avait juste gardé cette vieille habitude, de trainer dans les rues en été et au printemps, pour vadrouiller, voler sans trop de conséquences. Sauf que, quand on traine avec les gamins des rues, on se fait pas toujours des amis. Et comme Walt était plutôt doué, c'était visiblement un défi  que de lui voler quelque chose à lui.
Dans ses grandes poches de manteau ne résidait qu'un vieux livre à fleurs séchées. Mais il y tenait, à ce livre, il venait de l'Autre monde, un vieux souvenir, de clochettes nacrées et florales du pays, cueillies pendant une jeunesse presque oubliée.
Du coup, ça ne lui plaisait pas beaucoup, qu'on vienne fourrer ses petites mains dans sa poche, et qu'on arrive à s'en tirer avec le bouquin.

Furieux, il avait commencé à bousculer les passants, criant pour que quelqu'un peut-être, y fasse quelque chose. Mais les passants étaient trop lents, et trop mous, il fallait à l'adulte moyen beaucoup trop de temps pour réagir et comprendre de quoi il s'agissait.

Il l'aurait rattrapé, il en était certain. Ça, oui. Si il n'avait pas bousculé si fort cette jeune fille qu'il n'avait pas vu pour aller s'emmêler les pieds et se vautrer, un peu pitoyablement il fallait le dire, sur les pavés humides et inégaux des marchés.

" Rah, je pardon, mais ! M-FLÛTE! "

Il regardait le gamin partir en tapant du poing sur le sol. Le petit était fier, béret tombant sur le pif, et lui tira la langue pour lui signifier qui était perdant. Il le connaissait, c'était Robb, quel petit chieur. Walt soupira, résigné. Il le récupérerait, il le savait. Mais ça allait faire de lui un sujet de moquerie pendant quelques temps. C'était le jeu, tant pis.
Il soupira une autre fois, avant de se redresser.

"Je suis désolé, je ne vous ai pas fait mal ?"

Maintenant que c'était fait, il était peut-être temps de se sentir concerné par la personne précédemment renversée.

Walt avait rougi, parce qu'il était embêté, et en plus se sentait mal de se faire ainsi reprocher sa bêtise et son inattention. La grande dame avait eu l'air très fâchée. Et en la regardant, Walt se disait qu'une grande dame ainsi, fallait sûrement pas trop la chercher.

"Je suis vraiment désolé, je suis, un peu maladroit..."

Il était carrément dans ses petits souliers, comme il l'était souvent quand il faisait une bêtise.
Walt, redressé, grogna intérieurement sur ses genoux à présent humide  à cause du sol. Il n'aimait pas trop ça, mais ça irait quand même. Il se pencha, ramassant ce qui, visiblement, devait être un légume un peu trop téméraire qui pensait encore pouvoir échapper au triste sort qu'allait lui réserver la grande dame aux longs cheveux noirs.
D'un geste réservé, il le lui rapporta.

"Vraiment, désolé...J'espère que, vous n'avez mal nul part..."

Il toussota, cachant sa gêne et son léger sentiment d'humiliation. Il fit craquer sa nuque douloureuse, et massa ses poignets. Il était un peu fragile, au fond. Quand il courait dans les  ruelles et qu'il se cognait, il mettait toujours une journée pour s'en remettre, et appliquait, dès qu'il rentrait, une petite crème à base de plante qui lui était fort utile, surtout quand les chutes lui laissaient des bleus.
Il eu un petit rire et se gratta l'arrière de la tête, un vieux tic qui lui prenait quand il était face à quelqu'un qu'il ne connaissait pas.

"Oui, mais ce n'est rien, je le retrouverais, normalement."

Il glissa ses mains froides dans ses vieilles poches en cuir.

"C'est un gamin que connais, le grand jeu était de me voler quelque chose, ils ont gagnés, ça va faire leur fierté pendant un moment. "

C'était juste qu'un bête jeu. Au fond, il espérait vraiment le récupérer. C'était qu'un bouquin dont on ne savait pas lire l'histoire, vu la langue utilisée, avec juste des fleurs séchées. Aux yeux du premier venu, c'était un objet sans importance.

La petite tête rousse était resté toute figée dans sa stupeur. Que, quoi ? Pardon ?
Voilà que la grande dame était partie comme une fusée, sans même demander quoi que ce soit d'autre.
Il ne savait pas trop quoi faire sur le moment, du coup, Walt n'avait tout simplement pas bougé, dans le doute. Doute qui avait été confirmé par la suite, puisque la grande dame aux cheveux sombres était revenue. Avec dans les mains, son petit livre.
De nouveau, quelle surprise ! Il n'avait plus de voix tellement il ne s'y attendait pas.

"Euh, ben, euh, mh. Merci."

Il avait reprit le petit livre dans ses mains, et dans un réflexe tout bête, avait rouvert les pages pour y trouver, non sans réconfort, les fleurs séchées. Il esquissait un sourire, avant de le referme sèchement.

"Vraiment, merci beaucoup, fallait pas vous donner ce mal."

Puis son sourire disparaissait vite fait. Parce qu'il venait de se demandait ce qu'elle avait fait du môme. Puis il ricanait intérieurement. C'était bien fait pour lui. Héhéhé. Mais d'un autre côté, on allait le traiter de petite mauviette, à se faire défendre par les Dames. Il soupirait. Ahlàlà. Si il n'avait pas trébuché, il aurait pas eu à subit tout ça.
Enfin bref, ce n'étaient que de petits ennuis, ça occupait les journées un peu trop grises.

"Oh, euh, je, je suis, Walt. Et...Ben, je, grave."

Il faisait une pause, observant la dame dites Yami. Il ne s'était jamais vraiment présenté à ceux qu'il rencontrait. Un grand-père que l'on aidait sur la route, à monter une marche, porter ses courses, on lui souriait, on disait merci, et bonne journée surtout, merci mon garçon ! Et voilà, c'était une rencontre éclair, ni plus ni moins.

"Et euh, je grave du bois !"

Parce que bon, graver, ça reste quand même vaste comme domaine. Walt ne savait pas trop quoi faire. Allaient-ils rester là, au milieu de la rue, sans bouger, debout? Il ne savait pas vraiment si ça se faisait. En même temps, il se voyait mal entamer une marche, ça donnerait sûrement l'impression de vouloir partir, et pourrait être vexant.

Du coup, il se sentait obligé de faire la conversation, puisqu'on lui faisait l'honneur de la lui faire.

"Ehm, et donc, euh, du mercenariat..."

Il réfléchissait sur la question. Disons que, là d'où il venait, ça n'existait plus depuis quelques centaines d'années tout de même. Et là, c'était la première fois qu'il en croisait. Du coup, ça lui faisait penser à un retour dans le passé, genre moyen-âge. L'idée le faisait rire intérieurement.

"Comment ça se passe exactement ?"

Pas qu'il était pas intéressé, en fait, les gens ont toujours des choses à raconter, et on peut s'en enrichir. Mais il était vraiment mal à l'aise, comme elle apparemment. Ca finirait par se tasser, suffisait de trouver comment se sentir confortable dans la situation, et après tout irait comme sur des roulettes !