Sur les hauteurs de la rue, loin de la foule insupportable qui a le don de réduire un espace vital en quelques secondes, j’écoutais les bruits ambiants de la rue. Toujours les mêmes, avec ses odeurs qui remontaient et donnaient parfois la nausée. Le boulot venait d’être terminé, j’avais été assez bien payé pour l’information que c’était. Toujours les mêmes choses autant futiles, la fidélité du conjoint remise en question, les soupçons sur une jeunette plus belle, plus attrayante. A peine ais-je quitter la rue, que le foule format un cercle autour de deux personnes, et de là où j’étais j’entendais les cris stridents des deux femmes qui s’injuriaient et se défendaient.

Encore une fois, j’avais fait mon travail, et j’avais encore mis mon grain sel pour créer des histoires. Ça ne m’intéressait pas de foutre le bordel là où tout était calme. Pourtant, j’en avais fait ma spécialité. Me trouver là où on ne m’attendait pas, là où personne ne penseraient me trouver, j’entendais ce qu’on pensait inaudible, et je répétais de façon à ce que ce soit ce que le commanditaire voulait entendre.

Je venais peut-être de briser une amitié, en plus de d’un couple, et l’illusion de bonheur d’une femme qui n’avait certainement rien demandé. Le monde était cruel, et j’en jouais pour vivre, pour m’attirer des faveurs. Je poussais un soupir en passant une main pour démêler une mèche de cheveux, et de l’autre, je tenais la jupe qui tentait de se soulever avec la brise qui essayait en vain de rafraichir l’air qui était remplit de parfums et d’odeurs qui m’insupportaient.

Des bruits de pas attirèrent mon attention. Un homme, livre à la main, montait lui aussi sur les hauteurs de la rue. Lui aussi voulait peut-être respirer après avoir passé un trop long moment dans cette masse informe qu’est la foule du quartier commerçant. Il s’accouda au muret, le regard dans le vide. Les cris des deux femmes étaient encore audibles, il n’y avait donc pas encore eu de meurtre, seulement des envies. Qu’en serait-il du mari infidèle lorsque sa femme, cocu, rentrerait à la demeure familiale. J’expulsais ses pensées de mon esprit, et m’approchait doucement de l’homme. Il ne sembla me remarquer, alors que je m’accoudais au muret. Je dirigeais mon regard sur la foule en dessous de nous. Il semblait mystérieux, plein de secret. C’est pour cette raison que je me forçais à l’aborder.

- Une belle vue qui démontre bien le peu de place que prend un seul individu, soufflais-je.

Il ne répondit pas, se contentant de garder son regard fixé sur la masse de monde qui circulait dans la rue. Je faisais de même, n’espérant même pas une réponse.

Il ne disait rien, ayant encore son regard sur la masse informe qui arpentait la rue au-dessous. Il fronça légèrement les sourcils, semblant réfléchir un moment. Je me disais que je n’aurais pas dû dire une chose pareille. C’est vrai après tout. Ce n’est pas tout le monde qui adhère à ce genre de conversation. Je m’adossais au muret pour ne plus avoir cette vision que je détestais de cette foule de moutons, puis je levais les yeux au ciel.

Il y avait de rares oiseaux qui s’aventuraient parfois au-dessus de cette rue qui avaient des senteurs qui les empêchaient presque de respirer. Voler, n’avoir aucune limite, aucun compte à rendre. Chanter lors des beaux jours, et se cacher quand le froid de l’hiver montre le bout de son nez. Une vie pareille, c’est ce que j’aurais toujours voulu avoir. La liberté à l’état pure, avec quelques montées d’adrénalines lorsqu’un prédateur se montre affamé.

Comme toujours, je me sentais oppressé par ce monde qui m’entourait, par tous ces gens qui ne voyaient pas plus loin que le bout de leur nez. Par ces odeurs insupportables qui encombraient à chaque fois mes poumons déjà agressés par le goudron des cigarettes passées. Des cancerettes, comme j’avais nommé ce petit bout qui rougit et se consume au bout de vos lèvres, comme une amante habitée par la passion de l’amour nouveau.

- Mais le résultat ne serait-il pas le même si la place était plus grosse, les personnes également? Dans ce cas-là, votre théorie se retrouverait réduite à néant.

La voix du garçon à côté de moi m’avait fait sursauter, je l’avais presque oublié à force de m’enfoncer dans mes pensées pas plus joyeuses les unes que les autres. Ma théorie réduite à néant… Pas totalement. J’y réfléchissais un moment, toujours les yeux fixé sur l’étendue bleue du ciel que je regardais sans voir. Finalement, j’étais peut-être bien tombé, et j’allais peut-être pouvoir m’occuper un moment.

- Je ne crois pas… répondis-je, sûr de moi. Si un individu prend plus de place, même s’il grossissait, le reste grossirait proportionnellement. Le monde est fait ainsi, ajoutais-je.

Oui, les hommes étaient faits pour être des moutons que l’on guide comme on le souhaite, on les force à monter au sommet, comme sur une tour de Babel, et s’ils meurent, ça ne dérange personne. S’ils meurent, c’est qu’ils ne devaient pas atteindre le sommet, que dès leur naissance il avait été prédit qu’ils ne monteraient pas. A ces pensées, j’espérais ne pas faire partie de ces pauvres humains qui mourraient sans avoir pu apercevoir la lueur des sommets.

Je poussais un soupire. Ça ne me ressemblait pas de broyer du noir à propos de ce genre de sujet. C’est une chose qui m’énervait, et il fallait que j’aille frapper quelque chose. Rapidement…

Les poings serrés, j’essayais de penser à autre chose, quelque chose de moins sombre, de moins énervant. Au milieu du bleu du ciel, des nuages commençaient à pointer le bout de leur nez. Le beau temps ne durerait pas, le soleil irait se cacher, et les nuages finiront déverser leurs larmes sur le monde. La masse informe de la foule commencerait à se précipiter à l’abri, sortant leurs parapluies, les capuches, ou bien utilisant des journaux pour ceux qui n’étaient pas prévoyant. Mais ce n’était pas pour tout de suite. Les nuages essayer de se placer comme ils le voulaient, histoire de perturber le plus de monde, pour plaquer le plus d’odeurs au sol.

- Mais nous ne sommes, au fond, que de minuscules choses dans l'immensité de l'Univers et de l'Infini, nous ne serons jamais qu'un millième du quart de l'Univers.

La voix de l’homme à côté de moi me surpris. Je l’avais presque oublié alors que je me perdais dans mes pensées. Plus la discussion avançait, plus l’homme paraissait décalé par rapport à la réalité du monde. Finalement, ce n’était peut-être pas si mal que ça, d’être décalé, plus tôt que de vivre trop ancré dans la réalité. Mais au final, il n’avait pas tort. Qu’étions-nous, pauvres humains, aux yeux du monde, de l’univers infini ? Étions-nous de simples acteurs d’une pièce de théâtre mal jouée, ou bien des pions, à la merci de ce qui nous entoure. Pour moi, nous n’étions rien d’autre de la poussière, qui finirait un jour où l’autre par disparaitre.

Le rouquin avait reposé son regard sur le ciel, un sourire étiré sur ses lèvres. Je ne savais pas pourquoi il souriait. Peut-être était-il de ceux qui souris sans raison aucune, comme ça, simplement parce qu’ils se sentent bien. J’aimerais beaucoup faire partie de ses gens, être sociale, insouciant du monde qui m’entoure. Malheureusement, j’étais de ceux qui avait tellement vu de stupidités et d’horreur, que j’avais perdu foi dans l’humanité et le monde. J’étais irritable, violent, et surtout je me refusais à devenir comme les autres, et donc à être sociale de nature.

Un millième du quart de l’univers, de l’infini… Je pensais que les hommes étaient moins que ça. La pire espèce du monde, mais aussi la plus insignifiante et dépendante.

- Je dirais même que l’humain est moins que cela, répondis-je. Une simple poussière qui a réussi à installer sa supériorité par je ne sais quel moyen, tout cela pour faire chaque jour disparaitre une part d’humanité dans les hommes.

Je me tus un instant, cherchant les mots convenables pour ce que je voulais exprimer, pour pouvoir être compris de l’homme qui était en face de moi. Les mots ne me venaient comme je le voulais, et seule une métaphore stupide me vint à l’esprit.

- Voyez les sauterelles, elles dominent les fourmis par leur puissance individuelle, commençais-je. Cependant, si les fourmis s’allient, ensemble, elles renverseront la domination des sauterelles. Mais avant que cela n’arrive, il faudra du temps. Imaginez simplement que les hommes sont les sauterelles, et que le monde est représenté par les fourmis.

Je baissais le regard sur les pierres du sol, remarquant une coccinelle qui essayait de s’envoler, en vain. Je n’avais pas été clair, encore une fois, j’allais être incompris. Sous l’énervement, mon pied se leva et alla se laisser tomber sur le pauvre insecte qui n’avait rien demandé, qui essayait simplement de vivre sa vie. Envy, tu n’es qu’un boulet… pensais-je.
Une goutte tomba sur ma main, attirant mon attention sur le ciel. Les nuages étaient maintenant noirs. Ils avaient trouvé leur place, maintenant ils allaient déverser toutes leurs larmes sur le monde en dessous d’eux. Ils étaient devenus noirs, menaçant. L’averse de pluie commençait.

Les gouttes de pluies tombaient, assombrissant tout ce qu’elles touchaient. Elles glissaient sur mes mèches de cheveux, mouillaient mon tee-shirt, et perlaient sur mes bras nus. L’eau glissait entre les pavés, se frayant un chemin comme elle le pouvait, contournant nos pieds.

- Je vois ce que vous voulez dire. C'est comme dans un sport collectif, une seule personne, aussi forte qu'elle soit, ne pourra pas gagner contre une équipe adverse, même si elle a un niveau plus bas que lui. Il pourra, au début, marquer des points mais il s'essoufflera vite et se fera rapidement distancer.

Tu reposes ton regard sur le jeune homme. Il avait apparemment compris ce que je voulais dire. Il y avait peu de gens qui comprenait ton esprit tordu et embrumé. Apparemment, il faisait partie de ceux-là, et ce n’était pas pour me déplaire. Le rouquin laissa échapper un rire, et je ne comprenais pas pourquoi. Je lui lançais un regard interrogateur, espérant qu’il soit plus explicite.

- Désolé, c'est un peu flou ce que j'essaie de dire !

J’esquisse un sourire à sa phrase. Apparemment, lui aussi avait parfois du mal à se faire comprendre des autres. Malgré la conversation intéressante, plus les mots filaient, plus j’avais l’impression que mon temps de travail était terminé. Il n’y avait rien à tirer de ce jeune homme qui semblait plutôt hors de la société. Sa métaphore était plus explicite que la mienne, mais je trouvais ça d’un niveau quand même assez bas.

En dessous, la foule était maintenant une masse de parapluie de toutes les couleurs. Bleus, roses, verts, marrons. On pouvait facilement refaire un arc-en-ciel rien qu’avec ça. Les cris de la foule s’étaient tus, laissant place au bruit lancinant des gouttes qui se fracassaient sur le tissu des parapluies.

- Il faudrait se mettre à l’abri, dis-je. Ce n’est pas prêt de s’arrêter.

Je tournais mon regard sur le rouquin. Il avait les yeux fixés sur le ciel noir et menaçant, il ne semblait pas réagir au mauvais temps. Je poussais un soupir, et commençait à chercher du regard un petit abri qui suffirait le temps de l’averse.

Le rouquin coinça son carnet sous son bras. Il semblait vouloir absolument de protéger de toute dégradation, le carnet de feuilles semblait véritablement précieux pour le jeune homme. Peut-être y cache-t-il des mots, où des choses qui pourrait valoir assez cher si jamais je m’adressais ensuite aux bonnes personnes. Mais il n’avait pas l’air d’être ce genre de personne qui s’occupe de la politique, ou des grandes affaires qui posaient beaucoup de problème à la famille Trafalgar.

- Vous venez où vous préférez vous faire tremper?

Je reportais mon attention sur le rouquin qui avait commencé à partir. Il voulait m’inviter ? Il souriait, et semblait ravi de m’inviter dans je ne sais quel endroit. La pluie me fit réfléchir rapidement, et j’avoue que je préférais être à l’abri invité par un jeune homme que je connais seulement depuis quelques minutes, que rester sous la pluie battante.

Le rouquin entra dans un café, un grand sourire collé sur ses lèvres. Il s’installa à une table, et m’invita à m’asseoir moi aussi, en face de lui. Ce que je fis. Rapidement, un jeune homme habiller en serveur s’approcha de nous et nous demanda ce qu’on voulait commander. Le temps que nos commandes nous soient servies, le silence régnait entre nous deux. Le rouquin me fixait de son regard émeraude, comme s’il essayait de voir à travers moi. Il semblait réfléchir, et jetait un grand nombre de coup d’œil à son carnet posé sur la table, bloqué sous son bras qui tenait sa consommation.

Ce carnet, il m’intriguait, et en même temps il me repoussait. J’aurais énormément voulu savoir ce qu’il pouvait bien y avoir d’écrit dedans, et j’avais, en contrepartie, très peu envie de me retrouver dans ce carnet, enfermé pour l’éternité comme un précieux trésor, prisonnier de son geôlier. Le silence continuait de flotter, seulement couper par les bruits ambiant du café, dans lequel pas mal de personnes étaient venues se réfugier. Je tenais le goulot de ma bouteille de bière entre mes doigts, et je la balançais un peu dans tous les sens, histoire de m’occuper un peu. Je ne savais pas comment renouer la conversation, et le jeune rouquin n’arrêtait pas de poser son regard sur son carnet. Sensation désagréable.

- J’en oublierais les bonnes manières, lançais-je, dans l’espoir de relancer la conversation. Je me nomme Envy.

Le jeune homme ne sembla pas réagir immédiatement, apparemment concentré sur autre chose. Il reporta son attention sur moi, mais ne sembla pas vouloir dire un mot de plus. Essai numéro un, raté. Essaye encore.