Sentiments. Ces choses qui t’affaiblissent, te travaillent. T’empêche de te concentrer. Et cette scène que se repasse ne boucle dès que tu fermes les yeux. Le couteau, le sang, l’homme qui s’écroule. Déjà par trois fois, il a fallu t’arrêter et pour t’appuyer quelque part et vomir tes tripes. Si bien que ton estomac est vide et cri famine. Mais toi, tu n’as pas faim. Ton esprit n’a pas faim. Et tu cherches les raisons de ces réactions de ton corps, tu cherches comme un médecin chercherait des raisons de contamination à un malade. Qu’est ce qui t’as choqué ? Le sang ? Tu es médecin, le sang, tu en vois depuis une éternité, depuis que tu soigne les autres contre rémunération. Non, c’est la mort, tu n’avais jamais vu quelqu’un mourir aussi brutalement. Surtout de la main d’un autre être humain. Naïvement, tu avais pensé qu’on ne pouvait être témoin de ce genre de scène qu’à la guerre ou quand on est le héros d’un livre policier ou d’aventure. Pas dans la vrai vie. Cette pensée te fait un haut le cœur. Sauf que tu n’as plus rien à rendre alors il te suffit de stopper le chaos de ta monture et de fouiller dans la sacoche accrochée au côté gauche de l’animal pour y glisser la main et caresser le chat. Le chat. Calmant naturelle de toute situation  désespérée.

Iule met donc la main dans la sacoche. Petit coup de patte du chat qui prend tout ceci pour un jeu .Et la jeune femme refait surface, rassurée par l’air de la nature, les arbres, les prairies qui chantent, les fleurs qui discutent. Pas d’humains. Plus d’humains. Elle pose pied à terre pour se coucher dans l’herbe en étoile et fixer le ciel. Elle reconnait le paysage, c’est celui des Landes de Calcifer. Cela veut dire qu’elle n’aura pas trop de mal à atteindre la forêt .Foret signifie calme, lenteur du temps qui passe. Ames protectrices et rassurantes, à la conversation simple, sans mot trop compliquée pour elle. Foret sauvage, aucunement souillée par les hommes. Bientôt.

L’itinérante fronce les sourcils. La prairie s’agite. Elle renifle. Odeur âcre et douce à la fois. Vent qui se met à souffler .Nuages anthracite menaçant. Orages. Ils arrivent. Iule se redresse et fouille l’environnement, le paysage du regard. S’abriter. Elle regrimpe sur le dos de Munin, qui était partie brouter au loin, le talonnant pour l’inciter à galoper. La Cabane. Avec un temps pareil, aucun pécheur n’est de sorti, elle sera donc vide. Idéale pour s’abriter. La blondinette fouille sa sacoche, sortant une carte piquée il y a quelques mois à Earendil, le cartographe. En guise de dû, parce qu’elle l’a soigné. Une histoire alors que personne ne voulait partir en guerre ne contre personne. Les temps calmes, révolus. Orage qui gronde. Réellement comme en Image. Les temps qui viennent sont sombres. Et les engagements prennent toutes leurs profondeurs. Engagée pour une raison vénale, l’argent, le commerce. Contre cette folie grondante.

Galop régulier de l’Akhal Téké alors que le chat sort sa tête affinée de la sacoche, curieux. La cabane est en vue. Rassurée, l’itinérante, ralentie et scrute l’horizon menaçant. Elle a encore du temps avant que des trombes d’eau s’écoulent du ciel, comme si quelqu’un là-haut faisaient la vidange des nuages. Elle met pied à terre , attachant le cheval contre le mur de la cabane , le laissant se mettre dos au vent , l’abritant sous les pannes débordantes du toit , récupérant ses sacoches et entrant en catastrophe dans la cabane , s’asseyant sur un banc , au milieux des filets et des cannes à pèches . Elle fait sortir le chat pour qu’il  puisse se dégourdir les pattes et s’étire pour attendre, fermant les yeux pour se concentrer sur le chant de la prairie avant l’orage