Fermez les yeux. Essayez d'imaginer. De vous imaginer, allongé sur une colline verdoyante, le regard rivé vers un ciel bleu, bercé par une douce brise. Entouré par des forêts qui chantent, des rivières qui dansent.
Fermez les yeux. Essayez d'imaginer. De vous imaginer, dans un palais aux milles et une pièces, où la fête bat son plein tous les jours de l'année, où l'on se baigne dans des pépites d'or, où l'on se noie dans le luxe et l'abondance.
Fermez les yeux. Essayez d'imaginer. Cette contrée paradisiaque.

Ce monde existe réellement.
Ce monde est le mien.
Ce monde se nomme Skies Kingdom. Nous, Pompokos, en sommes les habitants. Dotés d'une intelligence supérieure et de pouvoirs surnaturels, nous vivons sans être privé de rien, dans une gloire éternelle. Jour après jour, page après page, l'histoire se répète sans jamais s'altérer. Nous chantons, nous dansons, nous rions puis nous fêtons. Nous vivons en harmonie avec la nature et ce qu'elle nous offre, nous vivons dans la paix la plus totale. Nous ne manquons de rien. C'est un monde où nous ne connaissons pas vos valeurs. La justice, la sagesse, la sincérité, le sens de l'effort, l'humilité – nous ne connaissons pas ces mots car tout nous est dû.

Mais un jour, un Pompoko dont la sensibilité était plus grande que celle de ses confrères se remit en question. Il ne trouvait pas plaisir à vivre sans travailler, il ne trouvait pas plaisir à vivre dans cette ronde parfaite. Il ne trouvait pas plaisir à faire la fête et se reposer au quotidien.
Il s'ennuyait.
Incompris par ses semblables, il s'engagea dans un voyage solitaire, à la recherche du sens de sa vie. Il traversa milles forêts et montagnes, il lut dix mille ouvrages et fit des découvertes des plus riches. Il prit la connaissance de mondes parallèles où l'on vivait différemment, sans magie.
Il eut alors une idée folle. Inviter ces individus à Skies Kingdom. Confronter son peuple, les Pompokos, à une autre réalité.
Ses premiers essais furent des échecs. Il essaya multiples méthodes afin de connecter les deux mondes, en vain. Il travailla sur beaucoup de théories, avant d'en tester un jour une énième. « Afin d'accéder au bonheur, il faut en payer le prix. » C'est ainsi que le premier humain arriva à Skies Kingdom. Il fut suivi de plusieurs autres.
Tous racontèrent la même chose : qu'ils menaient une vie difficile, qu'ils reçurent un jour une lettre les invitant à venir au royaume de Skies Kingdom, qu'ils n'avaient qu'à exécuter l'ordre indiqué afin de tout laisser tomber et de recommencer une vie nouvelle.

L'arrivée de ces êtres bouleversa l'ordre de Skies Kingdom. D'abord fascinés par ces derniers, les Pompokos les invitèrent à vivre ensemble, au sein de leur communauté. L'entente était telle que les Pompokos décidèrent d'offrir des dons surnaturels à leurs nouveaux amis, qui leur avaient eux offert un regard nouveau sur le monde.
Mais les humains, avides et corrompus en voulurent petit à petit plus. La rupture fut inévitable, les Pompokos, déçus du comportement des humains se retirèrent vers un autre royaume, laissant la terre de Skies Kingdom aux humains.

Je ne sais à quoi ressemble aujourd'hui Skies Kingdom. Je ne sais ce que les humains ont fait de notre terre depuis que nous l'avons quittée. Cette terre était chère à mes yeux, chère aux yeux de mes confrères. Nous sommes partis, le cœur plein d'amertume.
J'écris cette lettre aujourd'hui, et l'enterre dans cette capsule temporelle, dans l'espoir un jour qu'elle sera lue à temps. Mes confrères ont lancé une malédiction sur Skies Kingdom. Un jour, peut-être dans dix ans, peut-être dans cent ans, peut-être dans un millénaire, peut-être plus, mais un jour, Skies Kingdom subira des changements drastiques. Quels changements, je ne sais pas. D'après ce que j'ai pu comprendre, ce ne sera pas beau à voir. Les Pompokos reviendront alors, pour reprendre leurs terres. J'espère que vous saurez alors prouver votre sagesse, votre sincérité, ces valeurs morales que vous nous aviez montré. Je crois en vous.

Tu en as déjà entendu parler.
C'était dans ton salon, ta salle de classe, sous un arbre du parc en face de ton immeuble, de ta maison. C'était glissé au creux de ton oreille, crié à l'autre bout de la cour, marqué sur tes lèvres. C'était cette légende urbaine datant de tout temps ; comme quoi il existerait un autre monde. Un monde indéfinissable, aux passages flous, aux frontières éphémères. Tu as pu voir des centaines de rumeurs sur internet, sur des dragons, des fées, un château se perdant dans les nuages, des fleurs qui parlent ou des rivières au goût chocolaté. Tu as pu lire tout et n'importe quoi dans les journaux, allant d'un Paradis créé par Dieu Lui-même au purgatoire des âmes les plus perverties. Parce qu'on raconte aussi, ô oui on raconte, dans les ruelles des provinces et le tout-Paris. On raconte que seuls quelques privilégiés pourraient accéder à ce lieu où l'on ne s'ennuie jamais, seuls une poignée d'élus recevraient cette lettre conduisant tout droit à ce monde utopique, cette lettre signée Skies Kingdom.
Et ces élus seraient des monstres.
Des personnes capables.
De trahir.
De voler.
De haïr.
De tuer.
Juste pour atteindre leur idéal, oublier leurs passés défectueux, leurs complexes de toutes sortes. Des personnes au bord du gouffre en sorte, ou simplement avides de nouvelles aventures, d'un piment plus fort pour leur vie trop terne. Capable de donner le prix pour cela. Mais ce n'est qu'une rumeur n'est-ce-pas. Et toi, toi tu es quelqu'un de censé. Tu sais que la magie ça n'existe pas, que des individus qui disparaissent pour arriver dans un univers parallèle sans queue-ni-tête c'est tout simplement impossible. Tu sais tout ça, donc tu n'es pas idiot, tu ne te laisses pas avoir par la rumeur. Tu n'y crois pas.

Alors laisse-moi te dire une chose. Écoute-moi attentivement. Tu ne veux pas te prendre au jeu de l'incrédule, je peux bien te révéler ce que je sais. Il existe cet univers, je l'ai vu, je l'ai senti sous mes pieds, dans mes poumons et ma tête. Et ce n'est pas l'histoire d'un royaume, mais de trois. Il y a des millénaires de cela, trois individus dotés de pouvoirs étranges seraient apparus et auraient décidé de créer leurs mondes, divisant en part égales ce terrain qui leur était offert. Petit à petit, ils ont construit leurs villes, leur château, leurs secrets, léguant tout ceci à leurs successeurs. Avec le temps, des régimes politiques se sont mis en place, des constitutions ont été écrites, effacées, réécrites. Un royaume s'est enrichi, un autre a sombré dans la pauvreté, un troisième a préféré rester dans la position qui lui paraissait la plus sécurisante. Des individus de ton monde sont arrivés pour peupler ces royaumes, un par un, également pourvus de dons extraordinaires ; et s'il est vrai que certains ont péché ce n'est pas le cas de tous comme on le raconte chez toi. Leur seul point commun, c'est cette lettre qu'ils ont reçu. Et ce jugement quand ils s'engouffrent dans ce monde étrange. Tous, sans exception. On leur dira si oui ou non ils peuvent aller dans un des royaumes.
Ou s'ils finiront dans la terre des exilés.
La vie sans contrefaçon.
Le revers du Paradis.

Toi tu ne me crois pas, toi tu ne me crois pas. Les landes de Calcifer, la vallée du vent, la cité Yubaba, la terre des Noiraudes, tu te dis simplement que c'est de la folie. Tu fermes tes yeux et tu bouches tes oreilles. Tu ne veux plus rien entendre, tu ne veux plus rien savoir. Tu préfères fuir. Tu ne comprends pas.
Que c'est seulement le début de l'histoire.